Dans le monde de l'évaluation d'entreprise, particulièrement pour les TPE et PME locales (fonds de commerce, petites sociétés de services ou de distribution), une idée reçue est tenace : « le multiple de valorisation dépend directement de l'emplacement ». Autrement dit, une entreprise située en zone « premium » devrait être valorisée à un multiple supérieur à une autre, strictement comparable, située dans une zone moins attractive.
Mais pour les experts-comptables, commissaires aux comptes et analystes qui s'appuient sur la méthode des comparables, cette assertion mérite d'être examinée de près. L’emplacement est, sans conteste, un facteur clé de succès, mais son véritable impact se reflète-t-il dans les multiples d'évaluation ou plutôt dans leurs composantes ? En s'appuyant sur l'analyse de transactions réelles et de données de marché, il apparaît que la réalité est plus nuancée : l'emplacement est un puissant catalyseur, mais il affecte les deux termes du ratio de valorisation simultanément. Découvrons pourquoi ajuster la valeur finale, plutôt que de manipuler les multiples, est souvent l’approche la plus rigoureuse.
Le multiple est le rapport entre la Valeur d’Entreprise (VE, le numérateur) et un indicateur de performance économique ou financière (le dénominateur, souvent le Chiffre d'Affaires (CA) ou l'EBE/EBITDA. Analysons l'effet d'une localisation de premier choix sur chacune de ces composantes :
Un emplacement idéal, souvent synonyme de fort trafic piéton, d'une excellente accessibilité ou d'une zone d'activité dynamique, a un impact direct et mesurable sur les comptes de l'entreprise :
Résultat : l’emplacement améliore les comptes de la société (le dénominateur du ratio VE / indicateur de performance). Une entreprise bien située présente, toutes choses égales par ailleurs, de meilleurs fondamentaux économiques.
Parallèlement, un emplacement « premium » augmente la désirabilité et la liquidité de l'entreprise sur le marché des transactions. Les acquéreurs potentiels intègrent ce facteur de risque réduit et d'attractivité future dans leur offre :
Résultat : l'emplacement tire le prix de marché vers le haut (le numérateur du ratio VE / indicateur de performance).
Puisque l'emplacement fait grimper à la fois les indicateurs de performance (dénominateur) et le prix payé sur le marché (numérateur), le multiple (le ratio VE/EBITDA ou VE/CA) varie, en réalité, très peu. Le rapport tend à rester stable, car les deux termes évoluent ensemble.
Exemple concret tiré de la base CAUDIA : Deux restaurants aux profils financiers et conceptuels similaires. L'un est dans une zone touristique (fort CA, forte VE). L'autre est en périphérie (CA modeste, VE modeste). Le multiple VE/CA des deux pourrait être de 0,4, mais les montants absolus seront drastiquement différents.
Si le multiple des comparables proches géographiquement n'est pas la clé, comment l’évaluateur doit-il intégrer l'impact de la localisation ?
L’approche préconisée par les experts est de privilégier un ajustement fin de la valeur finale par une surcote ou décote, après avoir déterminé une valeur médiane du multiple.
Grâce à des outils comme le module « Évaluations par multiples » de CAUDIA, l'évaluateur doit commencer par sélectionner des comparables qui partagent les mêmes caractéristiques fondamentales (secteur d'activité, taille, modèle économique), sans se limiter au seul critère de proximité. L’objectif est de déterminer le multiple médian d'un échantillon de comparables.
C’est dans cette étape que la finesse de l’analyse géographique prend tout son sens. La proximité d’un comparable n’est pas un critère de choix de multiple, mais elle devient un critère d’ajustement qualitatif de la valeur :
Il est ainsi préférable d’appliquer une surcote ou une décote en fonction de l'emplacement par rapport à un multiple obtenu avec échantillon de comparables économiquement proches, plutôt que de retenir des comparables uniquement pour leur proximité. Cette approche permet de distinguer l’impact économique intégré dans le multiple de celui lié au marché, au risque et à la rareté.
L'emplacement d'une TPE/PME est crucial, mais son influence se fait sentir principalement sur la performance économique (CA, Marge, EBE) et sur l'attractivité globale de l'entreprise (valeur d’entreprise), laissant le multiple sectoriel relativement stable. Plutôt que de biaiser l’analyse des comparables en ne retenant que les plus proches, l'expert-comptable gagne en rigueur en appliquant la méthodologie suivante :