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Valorisation d’entreprise : l’emplacement influence-t-il vraiment le multiple ?

Romain CAUDRON
Romain CAUDRON |

Dans le monde de l'évaluation d'entreprise, particulièrement pour les TPE et PME locales (fonds de commerce, petites sociétés de services ou de distribution), une idée reçue est tenace : « le multiple de valorisation dépend directement de l'emplacement ». Autrement dit, une entreprise située en zone « premium » devrait être valorisée à un multiple supérieur à une autre, strictement comparable, située dans une zone moins attractive.

Mais pour les experts-comptables, commissaires aux comptes et analystes qui s'appuient sur la méthode des comparables, cette assertion mérite d'être examinée de près. L’emplacement est, sans conteste, un facteur clé de succès, mais son véritable impact se reflète-t-il dans les multiples d'évaluation ou plutôt dans leurs composantes ? En s'appuyant sur l'analyse de transactions réelles et de données de marché, il apparaît que la réalité est plus nuancée : l'emplacement est un puissant catalyseur, mais il affecte les deux termes du ratio de valorisation simultanément. Découvrons pourquoi ajuster la valeur finale, plutôt que de manipuler les multiples, est souvent l’approche la plus rigoureuse.

Le mécanisme : quand numérateur et dénominateur évoluent ensemble

Le multiple est le rapport entre la Valeur d’Entreprise (VE, le numérateur) et un indicateur de performance économique ou financière (le dénominateur, souvent le Chiffre d'Affaires (CA) ou l'EBE/EBITDA. Analysons l'effet d'une localisation de premier choix sur chacune de ces composantes :

1. L’emplacement améliore les performances économiques

Un emplacement idéal, souvent synonyme de fort trafic piéton, d'une excellente accessibilité ou d'une zone d'activité dynamique, a un impact direct et mesurable sur les comptes de l'entreprise :

  • Augmentation du chiffre d'affaires : plus de visibilité et de trafic génèrent mécaniquement un volume de ventes plus important.
  • Meilleure marge : la clientèle captive ou la demande élevée permettent souvent de maintenir des prix plus élevés ou un meilleur « mix produit », améliorant ainsi la marge commerciale et l'EBITDA. 

Résultat : l’emplacement améliore les comptes de la société (le dénominateur du ratio VE / indicateur de performance). Une entreprise bien située présente, toutes choses égales par ailleurs, de meilleurs fondamentaux économiques.

2. L’emplacement influence aussi la valeur d’entreprise

Parallèlement, un emplacement « premium » augmente la désirabilité et la liquidité de l'entreprise sur le marché des transactions. Les acquéreurs potentiels intègrent ce facteur de risque réduit et d'attractivité future dans leur offre :

  • Meilleure résilience et pérennité : un emplacement clé est souvent plus résilient aux chocs économiques ou à la concurrence.
  • Barrière à l’entrée : les emplacements rares créent une forme de monopole, difficile à répliquer par un concurrent.
  • Prix de marché supérieur : pour toutes ces raisons, le marché est prêt à payer un prix plus élevé pour cette entreprise. 

Résultat : l'emplacement tire le prix de marché vers le haut (le numérateur du ratio VE / indicateur de performance).

3. La stabilité du ratio

Puisque l'emplacement fait grimper à la fois les indicateurs de performance (dénominateur) et le prix payé sur le marché (numérateur), le multiple (le ratio VE/EBITDA ou VE/CA) varie, en réalité, très peu. Le rapport tend à rester stable, car les deux termes évoluent ensemble.

Exemple concret tiré de la base CAUDIA : Deux restaurants aux profils financiers et conceptuels similaires. L'un est dans une zone touristique (fort CA, forte VE). L'autre est en périphérie (CA modeste, VE modeste). Le multiple VE/CA des deux pourrait être de 0,4, mais les montants absolus seront drastiquement différents.

Une approche plus fiable : l'ajustement par surcote/décote

Si le multiple des comparables proches géographiquement n'est pas la clé, comment l’évaluateur doit-il intégrer l'impact de la localisation ?

L’approche préconisée par les experts est de privilégier un ajustement fin de la valeur finale par une surcote ou décote, après avoir déterminé une valeur médiane du multiple.

1. Déterminer un multiple sectoriel (et non purement géographique)

Grâce à des outils comme le module « Évaluations par multiples » de CAUDIA, l'évaluateur doit commencer par sélectionner des comparables qui partagent les mêmes caractéristiques fondamentales (secteur d'activité, taille, modèle économique), sans se limiter au seul critère de proximité. L’objectif est de déterminer le multiple médian d'un échantillon de comparables.

2. Intégrer l'emplacement dans l'analyse qualitative

C’est dans cette étape que la finesse de l’analyse géographique prend tout son sens. La proximité d’un comparable n’est pas un critère de choix de multiple, mais elle devient un critère d’ajustement qualitatif de la valeur :

  • Facteur rareté : l'entreprise est-elle située dans une zone « prime » où l'offre est structurellement limitée ? (surcote).
  • Soutenabilité du trafic : le flux est-il une rente durable (centre historique, gare, zone commerciale).

Il est ainsi préférable d’appliquer une surcote ou une décote en fonction de l'emplacement par rapport à un multiple obtenu avec échantillon de comparables économiquement proches, plutôt que de retenir des comparables uniquement pour leur proximité. Cette approche permet de distinguer l’impact économique intégré dans le multiple de celui lié au marché, au risque et à la rareté.

Conclusion

L'emplacement d'une TPE/PME est crucial, mais son influence se fait sentir principalement sur la performance économique (CA, Marge, EBE) et sur l'attractivité globale de l'entreprise (valeur d’entreprise), laissant le multiple sectoriel relativement stable. Plutôt que de biaiser l’analyse des comparables en ne retenant que les plus proches, l'expert-comptable gagne en rigueur en appliquant la méthodologie suivante :

  1. Déterminer le multiple pertinent du secteur d'activité (CAUDIA simplifie cette recherche grâce à sa base de données).
  2. Appliquer ce multiple aux indicateurs de l'entreprise à évaluer.
  3. Ajuster la valeur obtenue par une surcote ou décote pour capter les spécificités de l’emplacement (rareté, risque, pérennité). 
Pour des évaluations toujours plus précises et transparentes, l'accès à une base de données de transactions comparables de qualité est indispensable.

 

Foire Aux Questions (FAQ)

La méthode des comparables est-elle adaptée pour les TPE/PME ?

Oui, la méthode des comparables est l'une des plus utilisées, à condition de disposer d'une base de transactions représentatives des TPE/PME. Les bases de données généralistes contiennent souvent trop de grandes entreprises, faussant le multiple. Des outils comme CAUDIA permettent d'isoler les transactions pertinentes (titres et fonds de commerce) dans la même catégorie de taille.

Qu'est-ce qu'un « ajustement de valeur » par surcote/décote ?

L'ajustement de valeur est un pourcentage appliqué à la valeur d'entreprise initiale (obtenue après application du multiple) pour tenir compte des spécificités non quantifiables par les seuls comptes : qualité du management, risques juridiques, force de la marque, ou, comme dans notre cas, la rareté de l'emplacement. Cet ajustement doit toujours être documenté.

Faut-il utiliser le multiple de l'entreprise la plus proche géographiquement ?

Non. L'article démontre que la simple proximité géographique n'est pas un gage de pertinence pour le multiple. Il est préférable de retenir le multiple médian d'entreprises du même secteur d'activité (même NAF/métier) avec des profils financiers similaires, quitte à ce qu'elles soient éloignées, et d'intégrer ensuite la valeur de l'emplacement par un ajustement explicite sur la valeur finale.

Comment CAUDIA aide-t-il à justifier la surcote liée à l'emplacement ?

Le module "Prix par emplacement" de CAUDIA permet de visualiser les prix de cession réels (fonds de commerce ou titres) autour d'une adresse précise. Ces données factuelles sur les transactions locales offrent une base solide pour justifier et quantifier la surcote ou décote appliquée pour l'emplacement étudié dans le rapport d'évaluation.

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